Ce projet propose de mettre en place une plateforme permettant aux Canadien.nes de mieux comprendre, de partager et de proposer des solutions inspirées de l’expérience latino-américaine sur le plan des revendications et dénonciations des violations des droits humains, de même que des politiques et programmes de mise en œuvre des obligations étatiques visant une meilleure promotion et protection de ces droits.

Les droits humains dans les Amériques

À l’aube du 150e anniversaire du Canada, le projet que nous proposons vise à participer à la mise en place d’une culture politique sur les droits humains plus équitable et s’intégrant dans la mouvance des changements de paradigmes auxquels nous assistons, depuis plusieurs années, dans le monde. Ainsi, depuis quelques années, l’Amérique latine se démarque comme une région qui, après avoir traversé des périodes d’instabilités, de guerres civiles et de dictatures, consolide sa démocratisation et l’institutionnalisation de l’État de droit. Ces avancées se reflètent, entre autres, dans le domaine des droits humains. En effet, bien qu’il reste encore beaucoup à faire sur ce plan, l’Amérique latine a su construire une expérience régionale innovatrice et prometteuse sur le plan de la justice transitionnelle, du respect des droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, du pluralisme culturel, de la participation politique, etc. Ces réussites ont non seulement marqué l’histoire récente des États de la région, mais aussi de la planète entière, tant sur le plan normatif et institutionnel, que sur le plan des stratégies d’émancipations et des repères culturels (Sikkink 2014).

Une partie importante de ces avancées est due aux travaux novateurs de certaines institutions internationales qui, dans les dernières décennies, ont accompagné la société civile dans sa quête de vérité et de justice. C’est entre autres le cas du Groupe de Travail des Nations Unies sur les Disparitions Forcées ou Involontaires (GTDFI) et de la Commission et la Cour Interaméricaines des Droits de l’Homme (respectivement Commission ou CIDH et Cour ou CrIDH) de l’Organisation des États Américains (OEA) (Goldman 2009). Si les changements semblent lents aux yeux de certains, c’est souvent parce que le regard que nous portons sur le monde qui nous entoure est porteur de notre expérience culturelle, économique et sociale. Afin de le transformer et de réussir à le marquer d’un réel changement, plus particulièrement en ce qui concerne les droits humains, il est important de le porter sur l’ensemble des membres de notre communauté, puis, plus largement, sur le monde.

Au Canada, les actions comme celle de la Commission vérité et réconciliation en sont les preuves probantes. En effet, des commissions de ce type ont été créées dans de nombreux pays au cours des dernières années, entre autres en Amérique latine. Le Pérou, le Chili et l’Argentine, pour ne nommer que ceux-là ont mis sur pied de telles commissions afin d’engager un processus accessible et axé sur les victimes. Si, en Amérique latine, elles ont été mises sur pied afin de soutenir les victimes de disparitions forcées, au Canada ce sont les victimes des pensionnats autochtones qui en ont été les destinataires, à la demande de celui que l’on nomme « l’élève survivant ». Chaque fois, l’objectif était le même : rétablir et renouveler les relations entre les victimes et la population.

Le système interaméricain de protection des droits humains (SIADH)

En plus de ses fonctions en matière d’instruction de plaintes individuelles, la Commission occupe également des fonctions d’observation et de défense des droits humains dans la région. Pour ce faire, elle peut, notamment, recommander aux gouvernements d’adopter des mesures propres à promouvoir le respect de ces droits, préparer les études et rapports jugés utiles pour l’accomplissement de ses fonctions, via son système de Rapporteurs ainsi que ses rapports annuels, thématiques ou par pays portant sur la situation des droits humains.

La Cour, quant à elle, a été instituée en vertu de la Convention américaine ; elle peut être saisie par la Commission interaméricaine ou par tout État partie à la Convention dans le cadre d’affaires contentieuses alléguant la violation des droits protégés par son instrument constitutif ou tout autre instrument à l’égard duquel elle aurait compétence. Elle peut également rendre des avis consultatifs à la demande de tout État membre de l’OÉA et certains organes de l’Organisation à propos de l’interprétation de la Convention ou tout autre traité relatif à la protection des droits humains dans les Amériques, en plus de se prononcer sur la compatibilité d’une loi nationale avec ces instruments.

Si lors de leur entrée en fonctions, les instances interaméricaines ont été confrontées à des affaires de violations massives et systématiques des droits humains perpétrées par des régimes autoritaires, les affaires portées devant elles exposent, de plus en plus, des problèmes structurels liés au fonctionnement des démocraties. De nos jours, les victimes appartiennent souvent à des groupes placés en situation de vulnérabilité au sein de leur société et la violation de leurs droits individuels soulève généralement des questions de discrimination systémique. La sanction des violations des droits garantis dans ce type d’affaires remet ainsi en cause l’ensemble de l’appareil étatique, dans ses fonctions législatives, ainsi que son organisation politique et institutionnelle.

À la lumière de ces développements jurisprudentiels, le SIADH a cherché à développer des solutions non seulement axées sur la réparation individuelle des droits violés, mais également à ancrer son analyse dans le contexte institutionnel et social des affaires qui lui sont présentées. Ce faisant, les instances interaméricaines ont introduit le principe de la protection des groupes vulnérables, « qui ont subi sous l’angle historique, sociologique, économique ou encore politique une mise à l’écart « discriminante » ». Ainsi, la Commission et la Cour ont développé un courant jurisprudentiel que l’on pourrait qualifier de « socially mindful » qui reconnaît l’existence des groupes placés en situation de vulnérabilité afin de déterminer avec précision les obligations positives qui incombent aux États dans la protection effective des droits garantis (Duhaime 2011, 2007).

La position du Canada

Alors que le Canada s’efforce de se rapprocher de ses voisins latino-américains, tant sur le plan de l’immigration et du développement économique, plusieurs Canadien.nes s’étonneront sans doute du fait que le Canada est l’un des rares États des Amériques à ne pas avoir pleinement intégré le SIADH.

En effet, bien qu’il ait rejoint l’OEA en 1990, le Canada n’a pas souscrit aux traités interaméricains de protection des droits de la personne et n’a pas accepté la compétence obligatoire de la Cour régionale en la matière.

Ainsi, le Canada ne demeure lié que par la Charte de l’OEA et la Déclaration Américaine relative aux Droits et Devoirs de l’Homme et n’est assujetti qu’à la compétence de la Commission Interaméricaine (Duhaime 2012, 2010). Celle-ci a formulé plusieurs recommandations importantes au Canada en matière de protection des droits humains, entre autres en ce qui a trait aux droits des réfugiés et aux droits des femmes autochtones (CIDH 2016, 2014, 2000). Rappelons que le Sénat canadien a déjà recommandé à deux reprises au gouvernement canadien d’adhérer pleinement au SIDAH (Sénat 2003, 2005).

Les droits humains au Canada : état des lieux

Bien que le Canada soit souvent perçu ou se présente comme un champion des droits humains sur la scène internationale, de nombreux problèmes persistent à cet égard de part et d’autres du pays. C’est notamment le cas de la jouissance effective des droits économiques, sociaux et culturels, des droits des femmes à l’égalité et à vivre à l’abri de la violence, des droits des réfugiés et autres migrants, de la liberté d’expression et de contestation sociale. Bien évidemment, les peuples autochtones, plus particulièrement en ce qui a trait aux droits territoriaux, aux droits culturels et à la gouvernance, sont encore aujourd’hui les victimes directes et indirectes de ces inégalités.

Même si plusieurs actions sont prises par le gouvernement pour y remédier – la Commission d’enquête sur certains évènements survenus à la Prison des femmes de Kingston (Commission Arbour) et la Commission Royale sur les peuples autochtones de parues en 1996 (Commission Erasmus Dussault) –, la situation peine à s’améliorer et les changements structurels et culturels tardent à se mettre en place. La Commission Vérité et Réconciliation abordait d’ailleurs différents enjeux entourant la question des pensionnats autochtones du XXe siècle et la reconnaissance des expériences, des séquelles et des conséquences liées à l’expérience des victimes. Nouvellement mise sur pied, la Commission d’enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinéesfera, sans aucun doute, face à de nombreux défis. Effectivement, les enjeux à la fois théoriques et méthodologiques, la documentation des cas, mais aussi les changements à apporter tant sur le plan des cultures institutionnelles que des processus de lutte contre l’impunité sont parlants. Au-delà de nos frontières, nous constatons les effets répercutant des politiques canadiennes en matière de droits humains entre autres en Amérique latine (entreprises extractives canadiennes, politiques sécuritaires et migratoires, etc.) (Amnistie 2016, Ligue 2015, Femmes autochtones 2011).

L’expérience collaborative : un projet inclusif

Face à ce constat, il est proposé de mettre en place une plateforme d’échange et de dialogue permettant aux Canadien.nes (grand public, décideurs, défenseurs des droits humains, autorités autochtones etc). de mieux comprendre l’expérience latino-américaine sur le plan des revendications et dénonciations des violations des droits humains, de même que des politiques et programmes de mise en œuvre des obligations étatiques visant une meilleure promotion et protection de ces droits.

Il est proposé, dans un premier temps (I), de procéder à un état des lieux visant non seulement à identifier la littérature scientifique et les rapports institutionnels pertinents, mais aussi à identifier les enjeux et acteurs clefs de la défense des droits humains au Canada et en Amérique latine. Les discussion et les échanges Nord-Nord et Sud-Nord seront structurés et bâtis sur les expériences et les observations des principaux acteurs concernés – femmes, autochtones, défenseurs des droits humains, etc. – et viseront, à moyen terme, une meilleure intégration du Canada dans le SIADH et une mise à profit des effets bénéfiques de l’expérience latino-américaine pour la protection des droits humains au pays.

Dans un deuxième temps (II), il est proposé de consulter les acteurs canadiens intéressés au débat national sur les droits de la personne, et ce, afin d’identifier les principaux défis auxquels fait face la société canadienne en la matière. Ces acteurs incluront les fonctionnaires des gouvernements fédéral et provinciaux, les organisations et défenseurs des droits humains, les autorités autochtones, les juristes, etc. Cette consultation permettra également de sensibiliser la population canadienne, par un effet de partage de l’information et acquisition de nouveaux savoirs, aux avantages liés à une meilleure intégration du Canda dans le SIADH. Seront considérés, lors de cet exercice, les réticences et les préjugés entretenus par certains secteurs de la société – entre autres au sein de la communauté juridique canadienne – quant au SIADH. En permettant de mieux comprendre les sujets abordés dans le cadre de la consultation, en fonction des résultats des recherches effectués antérieurement (I), il sera, entre autres, question de la protection des droits des femmes, des peuples autochtones et des migrants, de la lutte contre le terrorisme, de l’exploitation des ressources naturelles, des droits économiques, sociaux et culturels, de la lutte contre la discrimination et de la question du fédéralisme. Trois ou quatre séances d’une à deux journées pourront ainsi être tenues au Québec, en Ontario, en Colombie Britannique et dans le Nord canadien. De même, le chercheur et son équipe feront circuler un questionnaire parmi les autres intervenants intéressés mais ne pouvant participer aux consultations.

Dans un troisième temps (III), il est proposé d’inviter, en sol canadien, des experts et des membres de la société civile latino-américaine (incluant des organisations de défenseurs des droits humains et des autorités autochtones, des experts de la Commission et/ou de la Cour interaméricaine, des fonctionnaires latino-américains), pour qu’ils puissent illustrer leurs expériences, leurs batailles, leurs défis et leurs victoires dans ces champs d’innovations politiques et sociales, entre autres grâce aux outils fournis par le SIADH. Les invités seront appelés à aborder, notamment, les sujets discutés antérieurement lors des consultations (II). Les parties prenantes canadiennes ayant participé aux consultations seront invitées à assister à ces présentations et à échanger avec leurs collègues latino-américains. Dans le cadre de ces activités, les meilleures pratiques et succès canadiens en matière de protection des droits humains seront également abordés de sorte à permettre une rétroaction profitable également pour les collègues latinoaméricains. Cette démarche permettra ainsi, par la même occasion, d’établir des réseaux et des espaces d’échanges entre les intervenants canadiens et latino-américains permettant d’enrichir mutuellement leurs réflexions et d’informer leurs efforts de revendications et d’analyses. Ces réseaux permettront, nous l’espérons, de pérenniser les acquis engendrés par le présent projet. Pour multiplier les retombées de cet événement, il est proposé de faciliter la participation des personnes et groupes consultés précédemment (II) mais ne pouvant se déplacer pour assister au colloque, en mettant à profit la technologie de vidéo conférence et les installations multi médias de l’UQAM, ainsi que de filmer et diffuser l’événement sur le web.

Finalement, il est proposé, dans un quatrième temps (IV), de formuler des recommandations concrètes aux gouvernements fédéral et provinciaux, de même qu’aux autres intervenants (barreaux, ONGs, autorités autochtones, universitaires, etc.) quant au bienfondé d’une plus grande intégration du Canada dans le SIADH. Prenant en considération les besoins identifiés lors des consultations (I et II) et des expériences exposées lors des échanges avec nos collègues latino-américains (III), les résultats des discussions entre les différents acteurs du Canada et d’Amérique latine serviront à établir ces conclusions. Ce sera également l’occasion de proposer des voies de plus grande collaboration entre les communautés canadiennes et latino-américaines, afin de mettre à profit les expériences positives canadiennes en Amérique latine et au sein du SIADH. De plus les contributions des experts latino-américains seront intégrées dans une publication traduite en français, anglais, espagnol, cri et inuktitut, également diffusé sur une plateforme web qui les diffusera en plus de présenter les recommandations du chercheur. Enfin. Il est proposé d’aller présenter ces résultats aux autorités canadiennes (Affaires mondiales à Ottawa, Mission permanente du Canada à l’OEA à Washington), à la Commission interaméricaine (Washington), de même qu’aux acteurs ayant participé dans les consultations (Montréal, Ottawa, Vancouver et Nord canadien).

Résultats attendus

  • Recommandations destinées aux autorités canadiennes et aux acteurs oeuvrant dans le domaine des droits humains portant sur les leçons tirées des expériences latino-américaines et sur la pleine intégration du Canada dans le SIADH
  • Publications des contributions des experts latino-américains
  • Site web présentant les recommandations du chercheur et les contributions des experts latino-américains
  • Création d’un réseau interaméricain entre les acteurs canadiens et latino-américains concernés

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